Les territoires perdus de la République : résilience ou résistance ?


(Quand les rodéos motos envahissent un quartier) 

Habitante des quartiers Nord de Marseille depuis 2007 j’ai dû mener un combat inédit contre les nuisances des rodéos motos.

A partir de l’année 2012 les premiers troubles sonores ont commencé : des groupes de jeunes traversaient le quartier en motos cross en faisant un bruit épouvantable. Certains Week-end cela pouvait durer 2 à 3 heures.

Au début naïvement je me suis dit » cela ne va pas durer il va y avoir une intervention sérieuse de la police ». Hélas rien ….  J’ai commencé à contacter le commissariat du 15 -ème et j’ai ressenti que le problème n’était pas du tout pris en considération.

Imaginant que cela pouvait être un problème d’interlocuteur peu motivé, je me suis adressée à la Préfecture des Bouches du Rhône et au ministère de l’Intérieur par voie de lettre recommandée décrivant la situation vécue, et ce dès mars 2012.

Deux policiers sont venus à mon domicile pour parler avec moi et me rassurer. Ils m’ont conseillé de contacter le 17 lors des rodéos.

En juin 2012, une femme de 67 ans qui traversait le Bd Henri Barnier à proximité de mon domicile, a été tuée sur le coup par un type s’adonnant au moto cross sur la voie publique. Cet événement à été relayé par la Provence. J’ai conservé cet article et commencé à trouver que malgré l’installation du phénomène rodéos motos et ses dangers évidents, aucune prise en compte ne semblait se mettre en place.

D’été en été les rodéos sont devenus plus présents, toujours les mêmes motos, les mêmes types aux mêmes endroits sans aucune intervention. J’appelais le 17 plusieurs fois par jour et les fins de non-recevoir se succédaient « Madame on n’a pas de voitures, pas d’équipage, Madame on n’a pas que ça à faire, Madame on ne peut rien faire, déménagez ! Madame on n’a pas le droit de les poursuivre etc… »

J’ai commencé à réaliser que le combat serait complexe mais j’ai continué à abreuver de lettre recommandées la Préfecture et L’État en me disant qu’un jour ou l’autre cela serait utile.

En mai 2017 la situation a basculé alors que je la trouvais déjà fort édifiante, et que je développais un ressentiment contre les autorités en charge de la sécurité en France. 

En effet, à cette époque les rodéos ont pris une ampleur incroyable : tous les jours de semaine de 16 h jusqu’à la tombée de la nuit, tous les week-ends de 11 h à la nuit. Un véritable cauchemar m’interdisant de mettre les pieds dans mon jardin ou de déjeuner dehors.

J’ai compris alors que L’État Français abandonnait ses citoyens à leur sort et cela a perturbé mes convictions républicaines en profondeur. J’ai pleinement compris ce que signifiait le terme « Zone de non droit »   j’en ai pris la mesure en plein figure ! 

Je ne pouvais plus vivre chez moi, c’était devenu invivable.

Très abattue par cette situation j’ai dû pour la 1ère fois de ma vie recourir à des antidépresseurs, pour essayer de résister à la situation. Je suis partie le Week-end trouver refuge dans des lieux plus calmes mais chaque retour à mon domicile était une immersion en zone hostile.

J’ai ensuite rapidement décidé de me battre, cette situation extrême m’a mis la rage au ventre.

C’est ainsi que, en mobilisant des voisins outrés et victimes de cette situation, j’ai constitué un Collectif et lancé une pétition en ligne, collecté des témoignages sur CERFA.

Cette pétition a été adressée à la Préfecture à la Mairie, et au Ministre de l’intérieur.

Puis nous avons sollicité et obtenu des rendez-vous en Mairie de secteur et auprès de notre député.

Aucun effet …

Rapidement, j’ai compris que ces interlocuteurs, en théorie au cœur de notre démocratie, avaient d’autres préoccupations ou aucun pouvoir.

 Mettre la pression de partout, je n’avais plus le choix …

J’ai donc saisi le défenseur des droits (qui a écrit en préfecture mais ces échanges sont secrets) et consulté une avocate Marseillaise.

Cette dernière, tout d’abord très surprise par la thématique que je portais, m’a proposé de consulter mon dossier puis de me recontacter pour définir les actions à engager.

C’est ainsi que nous avons, en septembre 2017, lancé un recours gracieux envers la Préfecture et la mairie de Marseille afin de lier le contentieux en vue de saisir ensuite, le Tribunal administratif pour demander réparation du préjudice.

J’ai également saisi la presse locale et commencé à voir des articles sortir sur le sujet. J’ai filmé les rodéos avec un voisin et obtenu un passage de France 3 dans le quartier ou les journalistes ont pu filmer eux aussi, la réalité de la situation.

La médiatisation était mon seul atout.

Ce recours gracieux n’ayant fait l’objet d’aucune réaction ni de la Préfecture des Bouches du Rhône ni de la Mairie de Marseille, le tribunal administratif a pu être saisi. C’en est suivi une longue période d’échanges de conclusions et de procédures avec la Préfecture, la Ville ne s’étant pas défendue … (le Covid s’est invité au milieu de cette instance). 

Les rodéos continuant, j’ai poursuivi mes lettres recommandées en Préfecture, signalant et dénonçant les faits sans relâche, appelant le 17 avec des voisins jusqu’ à’ 5 fois par jour sans aucun effet.

Nous avons recensé plus de 1000 appels au 17 en 3 ans !!

J’attendais avec impatience la décision du Tribunal, la consistance de mon dossier et toutes mes démarches me laissaient penser que j’allais obtenir gain de cause, ce sentiment me confortait dans ma détermination et me permettait de trouver l’énergie de me battre presque tous les jours !!

Puis le 3 août 2020, la décision a été rendue et j’ai pu faire condamner l’état pour inaction contre les rodéos motos et obtenir une indemnisation de 10 000 €, augmentée des intérêts depuis l’introduction de la requête et le remboursement d’une partie de mes frais.

Cette décision en main, j’ai réalisé qu’il me faudrait aussi la faire vivre, je n’étais cependant pas certaine d’être soutenue par l’opinion et je redoutais de m’exposer.

J’ai donc fait un test en donnant l’info à un journal local Marsactu qui a sorti un article en août 2020. Cet article a connu un très gros succès, ensuite les parutions presse ont été énormes : le Parisien, le Monde, le journal du Dimanche, la Gazette des communes etc., des juristes en droit public l’ont commentée, des dizaines de journalistes m’ont contacté je suis passée sur toutes les radios, à la télévision puis se sont enchaînées des émissions comme C dans l’air, BFM TV, C8, Envoyé Spécial etc.

Un vrai tourbillon !

La commission des lois de l’Assemblée Nationale m’a auditionné sur ce sujet, une journaliste a fait son mémoire de fin d’étude sur les rodéos motos etc…

Cette médiatisation a obligé L’État à réagir au printemps 2021, en menant d’importantes saisies et destructions de motos cross, les rodéos se sont arrêtés en mai 2021 jusqu’à fin 2022.

L’État a fait appel de la décision (lâchant ses meilleurs juristes avec un mémoire de 40 pages !)  Mais finalement la Cour d’Appel Administrative à confirmer la décision (décembre 2021).

En août 2022, suite à de très nombreux accidents et incidents de motos cross sur tout le territoire français, les journalistes m’ont encore sollicitée pour des passages en émission, désormais mon nom est associé à ce phénomène.

Je suis presque seule à en parler mais je sais que derrière moi il y a beaucoup de citoyens dans l’ombre qui souffrent, des parents dont les enfants ont été tués ou blessés par des rodéos motos. Les habitants ont peur de dénoncer les rodéos c’est particulièrement compliqué dans les Cités ou la loi du silence règne ou l’État est totalement défaillant et favorise de facto ces pratiques et bien d’autres ….

Les rodéos motos ont repris depuis janvier 2023 dans mon quartier, faute de traitement de fonds, ils sont moins intenses cependant, je maintiens donc une forte pression sur la Préfecture et accepte les plateaux TV sur BFM pour rappeler la dangerosité de cette pratique et la nécessité de l’endiguer, ma détermination reste sans faille.

A travers ce témoignage je voudrais inciter tous les Français qui se sentent victimes de L’État à ne pas renoncer, à se battre, s’unir et à démontrer leur existence quel que soit leur lieu de vie, la voie judiciaire est la seule voie légale et démocratique, personne ne peut la contester.

De ce parcours, j’ai retenu plusieurs choses :

Tout d’abord j’ai réalisé que L’État que j’ idéalisais un peu , lâche  ses citoyens face à la délinquance  et au final cherche plus à se protéger qu’à nous protéger c’est peut-être le volet le plus douloureux de cette expérience , ensuite j’ai constaté que la Justice reste indépendante et qu’elle est encore en capacité de dire le droit et de condamner L’État lorsqu’il ne remplit pas ses missions et enfin la presse est et doit rester libre de parler de tous les sujets, j’ai pu constater l’investissement personnel énorme des journalistes que j’ai côtoyé , ils ont été à mes côtés et sont mes meilleurs alliés .

Nathalie LAFON.

La Démocratie ne va pas de soi. Il faut se battre pour elle chaque jour, sinon nous risquons de la perdre. La seule arme dont nous disposions est la loi.

Paul AUSTER

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