Le 26 février dernier Vox Nostra publiait un article consacré à la perte de notre souveraineté énergétique (1) dans lequel nous nous engagions à commenter le rapport à venir de la commission d’enquête parlementaire portant sur ce sujet.
Après six mois d’auditions (2) notamment de responsables politiques, de hauts fonctionnaires et d’experts, ce rapport de 490 pages a été mis en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale le 6 avril. (3)
Nous avions sous-titré notre précédent article « quand les calculs politiciens et l’incompétence priment sur l’intérêt de la nation ». Nous avions raison, malheureusement.

Le constat est accablant et nous reprenons ici quelques lignes du propos introductif du président de la commission, Raphaël Schellenberger (député LR du Haut Rhin).
« Ce rapport décrit comment la stratégie de souveraineté énergétique, pensée après la Seconde Guerre mondiale et dont la mise en œuvre a été accélérée après le premier choc pétrolier, a été un succès. Ce rapport relate surtout comment ce succès a conduit progressivement à ce que le confort de l’abondance fasse oublier le caractère stratégique de la mère des industries : l’énergie. Ce rapport raconte comment le dogme antinucléaire de l’écologie politique s’est peu à peu imposé comme la clef de lecture des choix énergétiques plutôt que la souveraineté et l’urgence de la décarbonation.
Cette histoire est celle de choix politiques et de débats de société tronqués. C’est la volonté d’imposer une opinion, sans en partager ou même en mesurer les conséquences. Cette histoire est celle de l’endormissement d’une nation qui a oublié de penser sa puissance et son rôle mondial, se recroquevillant sur son marché intérieur et des stratégies électorales, oubliant l’intérêt et l’ambition nationaux. »
Ainsi, la décision de réduire à 50% la part du nucléaire dans le mix énergétique à l’horizon 2025 a été prise sans aucune étude d’impact et résulte d’un accord électoral conclu en 2011 entre le parti socialiste et les verts (page 257 du rapport).
« La définition de cet objectif quantitatif ne s’appuie sur aucune analyse scientifique ou technique susceptible d’en mesurer la faisabilité ou la compatibilité avec le maintien de la sécurité énergétique. Ce que M. Arnaud Montebourg qualifie « d’accord de coin de table » est, pour Mme Ségolène Royal ((qui lors de la primaire du parti socialiste en 2011, s’était engagée face à Greenpeace en tant que candidate à une sortie complète de l’énergie nucléaire sous 40 ans) un « accord politique [qui] n’est pas robuste techniquement, car [les partis politiques] n’avaient pas les moyens de mener des études d’impact ». M. Manuel Valls confirme qu’« aucune étude d’impact ou analyse de besoin ne justifiait le passage de 75 % à 50 % de nucléaire dans la consommation énergétique. Certains pensaient sans doute que la prépondérance du nucléaire freinait l’émergence des nouvelles énergies ».
C’est avec la même inconséquence idéologique que sera abandonné le projet ASTRID, qui avait pour objectif de permettre l’exploitation de l’uranium 238 présent sur le sol français, et fermée la centrale de Fessenheim (décision de François Hollande mise en application par Emmanuel Macron) dont la production a fait défaut en 2022 obligeant la France à importer de l’électricité pour la première fois depuis 40 ans.
Le rapport analyse longuement l’absence de stratégie énergétique sur le temps long (pages 177 à 283), pendant trois décennies au cours desquelles la filière nucléaire, en l’absence de soutien des décideurs, s’est désagrégée.
La dernière décision en date du gouvernement d’Emmanuel Macron portant sur l’ARENH en a aggravé les conséquences financières pour EDF (page 297 du rapport). (4)
Face à l’urgence, la commission recommande le déploiement d’une ambition industrielle, écologique et souveraine pour les trente prochaines années, une ambition inscrite dans la loi et étayée par la science et l’industrie. Il faut refaire de la filière nucléaire la grande force française tout en développant les ENR notamment thermiques (sous l’angle de la rentabilité énergétique), réduire notre dépendance aux énergies fossiles, construire un cadre européen qui cesse de désavantager la France.
Dans ce cadre la commission fait 30 propositions (page 329 à 353 du rapport) avec un maître mot : remettre les compétences au cœur de la stratégie.
Parmi ces propositions citons la suspension immédiate de l’ARENH, la relance d’un projet de type Astrid, le lancement d’un nouvel inventaire minier sur le sol français, le maintien dans le domaine public, potentiellement en quasi-régie, des concessions hydroélectriques pour éviter toute mise en concurrence et relancer les investissements.
A ces 30 propositions s’ajoutent celles du président de la commission dont la demande de représentativité des ONG participant aux négociations publiques ainsi que la transparence sur leurs financements. Mais aussi la mise en cause de la responsabilité personnelle des ministres pour la non- convocation des conseils d’experts créés par la loi (extrait de l’audition d’Yves BRECHET le 22 novembre 2022, ancien Haut-commissaire à l’Énergie atomique de 2012 à 2018, « Pourquoi, en six ans de mandat et malgré mes demandes réitérées, le comité à l’énergie atomique n’a-t-il été réuni que deux fois ? »).
Nous ne pouvons que souscrire à ces propositions, avec une réserve sur la création de 50 parcs éoliens offshore peu prisés de nos concitoyens, et un regret concernant le rôle réel de l’Allemagne que la commission a largement éludé. Henri PROGLIO, ancien président d’EDF, lors de son audition le 13 décembre 2022 a affirmé « Depuis trente ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF, ils ont réussi ». Rappelons en effet que l’Allemagne prône une politique antinucléaire à l’encontre des intérêts français et qu’elle s’est ingérée dans la politique énergétique française (avec la bénédiction de nos dirigeants) notamment via l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE), basé au siège du ministère de la transition écologique. Enfin, l’Allemagne finance des ONG antinucléaires telles que Greenpeace ou WWF, très influentes.
Le rapport de la commission est riche d’enseignements et de propositions. On ne peut qu’espérer que les politiques s’en emparent notamment à l’occasion des débats parlementaires sur la loi de programmation sur l’énergie et le climat en juillet prochain.
Certes les députés ont voté, quasiment en urgence face aux conséquences désastreuses pour les français cet hiver de notre perte de souveraineté énergétique, la suppression de l’objectif de réduction à 50% du nucléaire dans le mix énergétique.
Mais qu’en est-il de la loi NOME et de l’ARENH ? rien.
Une loi, telle que celle concernant les retraites contre laquelle s’élève une large mobilisation, s’abroge ou se modifie. En revanche les lourdes conséquences de trente ans de mauvaises décisions en matière énergétique ne s’effaceront pas d’un trait de plume, pourtant aucune manifestation.
De mauvais esprits pourraient penser que le sujet des retraites constitue une excellente diversion dans l’opinion publique.
(1)- Perte de souveraineté énergétique – Vox Nostra (vox-nostra.fr)
(2)- 88 auditions, 150 heures de travail en commission, 5 000 pages de contributions.
(4)- Obligation pour EDF de vendre davantage d’électricité (20 TWh supplémentaires) à bas prix (coût 8,34 Mds €).