Alors que les syndicats sont peu représentatifs en France (moins de 10% des salariés) (1)ils jouissent d’une position de force d’une part en raison de l’obligation de négociation collective préalable à toute loi sociale (loi du 31 janvier 2007 sur le dialogue social – article 1 du code du travail), d’autre part par la menace de la grève, laquelle depuis plusieurs décennie signifie blocage du pays.
Il n’est pas ici question de remettre en cause la légitimité du droit de grève, qui est un acquis social incontestable mais de s’interroger sur sa signification aujourd’hui, et peut-être ses dérives
Au regard de l’Histoire il est intéressant de souligner que ce sont les lois dites « Le Chapelier » qui interdisent, en 1791 (période révolutionnaire), les coalitions de métiers ainsi que les grèves. C’est le second empire qui va supprimer le délit de coalition et reconnaître le droit de grève le 25 mai 1864 (Loi Olivier).
Le droit de grève va être inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » (alinéa 7). En outre « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » (alinéa 6)
La grève se définit comme étant la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles.
A grands traits on peut dire que de 1884 (grève des mineurs de la compagnie des mines d’Azin) à 1968 les grèves portaient sur des revendications purement professionnelles dans un secteur déterminé (augmentations de salaires, recrutement d’effectifs supplémentaires).
A partir de 1968 on passe pour la première fois de cette notion de grève plutôt corporatiste à une convergence des revendications dans un mouvement national. C’est ce qui se passe en 1968 par la jonction des mouvements étudiants et ouvriers, avec près de 10 millions de grévistes. De la revendication purement professionnelle on passe à une revendication sociétale ou idéologique.
Ce qui est apparu ces dernières décennies c’est qu’une minorité « clé » d’un secteur peut, sous couvert du droit de grève, bloquer tout le pays. Blocage soit pour la défense d’intérêts corporatistes (ex la grève chez Totalenergies a entraîné une pénurie de carburants dans toute la France au nom d’une revendication salariale corporatiste), soit dans le cadre d’un combat politique visant à mettre à mal le pouvoir en place.
Ainsi, la nouvelle réforme des retraites, après celles de 1995, 2003, 2010 et 2019 (suspendue en raison de la crise sanitaire), permet aux syndicats de s’unir pour actionner le droit de grève et menacer de bloquer l’économie, avant même tout examen du projet de loi par les parlementaires.
Il ne fait aucun doute qu’il y a une réelle mobilisation d’une grande partie des français non contre le principe d’une réforme mais contre celle-ci et plus particulièrement le report de l’âge légal à 64 ans. Toutefois, il est également évident que les syndicats, soutenus par certains partis politiques, récupèrent à leur compte cette mobilisation et tous les mécontentements, non seulement pour se donner un poids qu’ils n’ont pas en terme de représentativité mais mener un combat politique.
D’ailleurs pour la journée de grève du 31 janvier, Fabien ROUSSEL, patron du PCF appelle les français « à se mobiliser et à montrer pendant une journée, tous-que l’on soit dirigeants d’entreprise, artisans, salariés, ouvriers, élus locaux-, une détermination sans faille pacifique » (source BFM).(2)
Enfin, sous couvert de grève, on s’autorise tout, même l’illégalité dite morale.
A Marseille la CGT a lancé une opération d’intervention sur les compteurs pour faire baisser de 60% la facture des boulangers.
Des opérations de gratuité du gaz et de l’électricité pour les foyers modestes les crèches ou les hôpitaux sont prévues à l’occasion de la mobilisation du 31 janvier opérations qualifiées poétiquement « d’opérations Robin des Bois ».
A l’inverse des opérations de coupures ciblées sont prévues notamment à l’encontre d’élus qui soutiennent la réforme. D’ailleurs, il y a quelques jours, la permanence de la députée du Lot, Huguette TIEGNA, a fait l’objet d’une coupure volontaire d’électricité pendant près de quatre heures, ainsi que plusieurs commerces voisins, dommages collatéraux malgré eux.
M. Renaud HENRY, secrétaire général de la CGT Energie Marseille, a déclaré sur RMC « C’est complètement illégal, c’est aussi complètement moral pour nous ».
Quand la morale se substitue au droit, il faut commencer à s’inquiéter des dérives possibles.
En résumé nous avons des syndicats non représentatifs (moins de 6% des électeurs), déposant des préavis parfois de deux à trois mois (une sorte d’épée de Damoclès), utilisant la grève comme moyen de blocage avec un objectif politique (ce qui n’a pas été obtenu par les urnes pourrait l’être par la rue) et pouvant aller jusqu’à l’illégalité.
D’ailleurs c’est sans doute parce que les syndicats sont trop préoccupés de politique et d’idéologie que les salariés s’en détournent et que l’on voit apparaître des collectifs agissant hors les syndicats (ex dernier mouvement des contrôleurs SNCF avec un collectif Facebook).
Comme le droit de grève, l’existence des syndicats est parfaitement légitime mais au sein des entreprises (publiques et privées) et sous réserve d’y être représentatifs.
Dans un monde en guerre économique où chaque entreprise se bat pour sa survie, est-il normal que des syndicats utilisent le droit de grève pour bloquer un pays ?
Est-il normal qu’ils s’octroient le droit de faire pression sur des élus ou des entreprises ne partageant pas leur point de vue ? (3)
Il paraît donc urgent dans notre société de revoir la place des syndicats en la limitant à l’entreprise et en supprimant l’obligation de négociation collective préalable à toute loi sociale.
A défaut, il faut conditionner la possibilité de participer à une négociation collective à un seuil significatif de représentativité (ex : le montant des cotisations doit représenter 60% des ressources du syndicat).
1 Source étude de la direction de la recherche, des études et des statistiques (DARES) datée du 21 décembre 2021 et portant sur 2019
2 C’est sans doute en raison des risques de dérives notamment pour l’économie que de 1974 à 1992, le législateur a souhaité encadrer le droit de grève, prévoyant notamment un service minimum et la possibilité de réquisitions.
3 CGT Montreuil « ceux qui veulent la réforme, qui la soutiennent(….).ceux-là on va s’occuper d’eux (..) on va aller discuter avec eux, et puis si d’aventure, ils ne comprennent pas le monde du travail, on les ciblera dans les coupures qu’on saura organiser ».(source BFM)