Régulièrement la question de la légalisation du cannabis (1) revient dans l’actualité. Le 19 mars dernier à Marseille, ville particulièrement touchée par le trafic de drogues, a été organisée une série de conférences sur ce sujet.
Faisant le constat de l’échec de la politique répressive menée depuis 50 ans, tant en termes de sécurité que de santé publique, et constatant l’évolution de l’opinion publique, le 5 mai 2021 un rapport parlementaire se prononce en faveur d’une légalisation encadrée du cannabis dit « récréatif » et propose de lancer un grand débat national sur ce sujet. En effet, avec plus d’un million de consommateurs quotidiens, notre pays est l’un des plus gros consommateurs de cannabis et, parallèlement, celui dont les politiques publiques répressives sont les plus dures. C’est pourquoi les rédacteurs du rapport arrivent à la conclusion que notre système est inadapté.
Nous nous sommes essayés à un petit jeu du pour et contre à partir des arguments avancés par les citoyens, souvent des jeunes, que nous avons rencontrés et pour lesquels, le plus souvent, le cannabis n’est pas dangereux, d’ailleurs il est qualifié de « récréatif ».
Pour : Chaque individu choisit sa vie, sa drogue aussi, et ça ne regarde pas la société
- A cette nuance près que c’est la société qui prend en charge les divers dégâts causés par la consommation de drogues, elle est donc particulièrement concernée.
Pour : La vente et la consommation d’alcool ou de tabac, pourtant reconnus comme addictifs et nuisibles, sont légales, pourquoi pas le cannabis ?
- Exact mais rappelons que depuis des dizaines d’années s’enchaînent les plans de lutte contre le tabagisme et la consommation d’alcool, avec un succès plus que mitigé (2) ce qui tend à prouver que la légalisation d’un produit reconnu comme nocif n’est pas forcément de nature à endiguer ses effets pervers. En 2021 le tabac était responsable en France d’un décès sur huit. Quant à l’alcool, il entraine chaque année sur les routes 30% des accidents mortels.
Un Etat impuissant à réduire de façon significative, en la stigmatisant (faute de pouvoir revenir en arrière en l’interdisant), la consommation de tabac et d’alcool peut-il sérieusement prétendre légaliser une autre drogue, aussi addictive et souvent plus délétère, au motif d’une lutte contre le marché illégal et d’un meilleur contrôle de la consommation (qualité des produits, prévention, soins).
1-La légalisation vise à réglementer par le droit l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement
2-13 millions de fumeurs irrépressibles et ses 4 à 5 millions de Français devenus alcoolo – dépendants.
Pour : La prohibition d’un produit encourage sa consommation (attrait de l’interdit notamment chez les plus jeunes) et génère ipso facto un marché illégal avec comme corollaires le crime organisé, la corruption, la violence.
- Il serait très naïf de croire que la légalisation du cannabis supprimerait les dealers et les balles perdues. Le marché perdurerait avec des produits plus dosés en THC (3) à côté d’autres psychotropes (amphétamine, ecstasy, héroïne, cocaïne, etc) pour des consommateurs transgressifs ou à la recherche de plus de sensations.
Pour : La qualité des produits circulant sur un marché illégal ne peut être vérifiée ce qui présente un risque pour le consommateur.
- Le cannabis vendu dans un circuit légal serait certes de meilleure qualité mais obligatoirement très peu dosé en THC ce qui, pour beaucoup de consommateurs, serait revenir à la tisane de grand-mère donc peu attractif. De plus, le cannabis légalisé deviendrait encore plus facilement accessible aux jeunes, comme l’est le tabac, dont l’interdiction de vente aux mineurs est ignorée par une majorité de buralistes.
Une levée des restrictions à l’accès au cannabis conduirait plus ou moins rapidement, à un accroissement important du nombre de ses consommateurs. Il tendrait alors vers les chiffres atteints avec l’alcool et même avec le tabac. Les données canadiennes récentes, mais aussi celles provenant des Pays-Bas, de l’Uruguay, du Portugal, de l’Espagne en attestent (4).
Pour : La légalisation du cannabis soulagerait le travail de la police et des tribunaux et apaiserait le climat dans des quartiers de certaines banlieues.
- La police et les tribunaux auraient toujours face à eux les mêmes délinquants pour des trafics d’autres drogues. Les quartiers et banlieues n’évolueront pas tant que la drogue et les trafics divers continueront à rapporter énormément d’argent. Légalisation du cannabis ne veut pas dire pôle emploi (France travail) pour les dealers.
Pour : La légalisation générerait des recettes non négligeables pour l’Etat
- Certes la légalisation générerait des recettes pour l’Etat « dealer » mais attention rappelons que les taxes perçues en France sur les ventes d’alcool et de tabac ne couvrent que 30 à 40 % des dépenses pour les soins liés aux pathologies dues à leur consommation.
3- tétrahydrocannabinol,
A titre d’exemple dans l’Etat du Colorado, l’un des premiers Etats américains à avoir légalisé le cannabis, il a été calculé que pour 1$ perçu en taxes, il en coûtait 4,5 $ pour éponger les lourdes dépenses générées par cette drogue : à savoir, les dépenses en soins médicaux (particulièrement psychiatriques), ainsi que les dépenses pour les accidents provoqués, pour les dépenses des assurances, pour les procès, pour l’incurie sociale et/ou pour l’assistanat (5).
4-Le comité interministériel de lutte contre les stupéfiants, le 25 Mai 2021 : « L’expérience des Pays-Bas, de l’Uruguay, du Portugal, de l’Espagne, du Canada et de certains États américains fait apparaître une augmentation du nombre de consommateurs post-légalisation du cannabis dans tous ces pays, ce qui peut entraîner un usage d’autres produits stupéfiants »
5- Source CNPERT
6-Source CNPERT : Centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies
7-Précisons que la toxicité des fumées de cannabis est supérieure à celle du tabac. La combustion de la résine de cannabis produit 6 fois plus de goudrons dont différents constituants sont cancérigènes pour les sphères ORL et broncho-pulmonaire.
Pour : D’autres pays ont dépénalisé ou légalisé, ne soyons pas les derniers.
- Il est prudent de prendre le temps d’analyser les conséquences de la légalisation chez ceux qui ont franchi le pas, d’autant qu’à ce jour les premières études ne sont pas significatives. En outre, il est important de ne pas oublier qu’une telle légalisation, comme celle concernant le tabac et l’alcool, aurait un caractère irréversible.
Il y a un point d’accord unanime au sein de la communauté scientifique : le cannabis, comme l’alcool et le tabac, est dangereux pour la santé notamment des plus jeunes. C’est un psychotrope dont un des principes actifs est le THC dont le taux a été multiplié par 6 en 25 ans à la demande des consommateurs (6). Le THC agit sur le système nerveux central donc sur le système cognitif. Plus la prise est précoce chez les adolescents plus les risques d’addiction et de troubles sont élevés (troubles de l’apprentissage, troubles anxiogènes, troubles dépressifs, troubles psychotiques pouvant aller jusqu’à la schizophrénie) avec, à l’âge adulte, un taux plus élevé de suicides, d’accidents cardiovasculaires, entre autres (7).
Les études de suivi de cohortes menées sur une longue durée par l’Inserm montrent une probabilité de suivre des études supérieures inférieure à 60 % pour les jeunes ayant commencé à fumer du cannabis avant l’âge de seize ans.
Soyons réalistes, les trafics en tous genres ne pourront jamais être éradiqués totalement car étroitement liés tant à nos sociétés qu’à la nature intrinsèque de l’Homme.
Renoncer au combat en légalisant le cannabis (pour commencer ?), serait pour le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, une faute morale (août 2021). Il s’agirait aussi d’une faute sanitaire et surtout sociétale car la seule question est de savoir si nous souhaitons une société libre ou sous emprise.
En conclusion, le renoncement ne nous paraît pas être la solution. Il faut continuer à lutter contre la vente et surtout contre la consommation. Pour ce faire, il est impératif de mettre en place une politique de prévention digne de ce nom auprès des plus jeunes. C’est dès l’école primaire et tout au long de la scolarité, dans les ligues sportives, dans les milieux professionnels, que doit se mettre en place une prévention des drogues et des conduites addictives, mobilisant l’ensemble des acteurs professionnels concernés. Cette prévention doit se faire de manière très concrète en n’hésitant pas à montrer les conséquences des addictions sur les personnes et leur entourage.
Avant de fumer un joint posez – vous les bonnes questions.