Concilier fin de vie et dignité


En occident, la question de la fin de vie est un lieu d’affrontement entre deux grandes traditions. D’une part, la philosophie antique appelle « une bonne mort », résumée comme suit par Sénèque dans ses lettres à Lucilius : « Je choisis moi-même mon bateau quand je m’embarque et la maison où je vais habiter ; j’ai même le droit de choisir le genre de mort, par où je vais sortir de la vie ». D’autre part, la tradition judéo-chrétienne considère que seul Dieu décide de la vie et de la mort des hommes, et refuse d’opérer une distinction entre euthanasie et meurtre.

  • Les lois bioéthiques françaises portent encore l’empreinte de la tradition judéo-chrétienne
  • Le droit des personnes en fin de vie se borne, en effet, à l’accès aux soins palliatifs et, sous de strictes conditions, à l’arrêt des soins. Ce paternalisme médical s’est essentiellement construit de la manière suivante :
  • La loi du 9 juin 1999, consacre le droit de toute personne dont l’état le requiert d’avoir accès aux soins palliatifs et à un accompagnement ;
  • La loi du 4 mars 2002, dite loi « Kouchner », reconnaît le droit de toute personne malade de prendre, avec le professionnel de santé, les décisions concernant sa santé, ainsi que son droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ;
  • La loi du 22 avril 2005, dite loi « Léonetti », interdit l’obstination déraisonnable dans la dispense de soins afin de protéger les patients du risque d’acharnement thérapeutique. Elle consacre la possibilité d’administrer des soins palliatifs visant à soulager la douleur et ayant pour effet secondaire d’abréger la vie.
  • La loi du 2 février 2016, dite « Claeys-Léonetti », reconnaît aux personnes malades en fin de vie et dont les souffrances sont réfractaires aux traitements un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès.
    En somme, seul le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme peut bénéficier d’un arrêt des soins. En outre, il doit présenter « une souffrance réfractaire aux traitements » ou bien les traitements doivent être « susceptibles d’entrainer une souffrance insupportable » .
    Si la décision d’arrêt des soins appartient, en premier lieu, au patient lui même, il faut bien convenir qu’en pratique, les médecins consultent quasi systématiquement la personne de confiance, la famille et les proches. Ces consultations peuvent être à l’origine de discordances, lesquelles ont donné lieu à des affaires dont on ne peut que regretter la médiatisation.
    Enfin, l’arrêt des soins est décidé par un collège de médecins, chargé de rendre un avis motivé sur le caractère irrémédiable de l’état de santé du patient. Le Conseil constitutionnel a reconnu que cette procédure offre des garanties suffisantes et est conforme aux principes constitutionnels de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de liberté personnelle .
    Force est de constater que ces conditions n’accordent cependant qu’une place résiduelle à liberté de chaque personne de choisir comment terminer dignement sa vie.

  • 1 Article L.1110-5-2 et suivants du Code de la santé publique
    2 Cons. const. QPC. 2 juin 2017

De plus, les pratiques euthanasiques restent constitutives d’une infraction pénale. Le consentement de la victime est en effet indifférent de la responsabilité pénale et de la qualification juridique de l’infraction (en l’occurrence meurtre, assassinat, empoisonnement ou administration de substances nuisibles).



  • De nombreux Etats étrangers ont déjà légiféré – les premiers depuis près de 20 ans – en faveur d’une assistance médicale active à mourir. Ce qui apparaissait pendant longtemps comme une excentricité du Benelux ou une exception helvétique est récemment devenu chose commune.
    En effet, neuf Etats américains, la Colombie, le Canada, mais encore plus récemment l’Allemagne , l’Italie et l’Espagne ont encadré et, partant, reconnu, le droit à l’euthanasie .
  • La Cour européenne des droits de l’Homme affirme avec constance que le « droit à la vie » consacré par l’article 2 de la Convention européenne ne peut s’interpréter comme comportant un aspect négatif, c’est-à-dire un droit à mourir. Pour autant, elle considère que les législations relatives à la fin de vie relèvent de la marge nationale d’appréciation des Etats membres , d’où il résulte que chaque Etat peut souverainement encadrer cette liberté.


Face à ces législations, le droit interne se singularise autant qu’il s’archaïse.


  • L’euthanasie – de eu « bonne » et thanasie « mort » – procède de la liberté personnelle et de la dignité de la personne humaine. Sa reconnaissance est aussi l’expression de la devise Républicaine :
Soins de fin de vie: offrons-nous le cadeau de la clarté |
        Carrefour des lecteurs | Opinions | Le Nouvelliste -
        Trois-Rivières
  • Liberté de choisir les conditions de sa mort.

  • Les détracteurs du droit à l’assistance médicalisée à mourir prétendent protéger l’Homme contre lui-même. Ce paternalisme considère que la dépénalisation de l’euthanasie – ou sa légalisation – entrainerait nécessairement des recours abusifs à cette pratique.
    Assurément, cette crainte est sans fondement. En effet, les personnes qui sollicitent cette assistance ne vont pas systématiquement au bout de leur démarche. Tel est le cas notamment en Oregon où, en 2019, près de deux tiers des personnes ayant fait des démarches ont effectivement pris les médicaments prescrits et en sont décédées.

3 Cour cons. allemande, 26 fev. 2020
4 Cour const. italienne, 24 sept. 2019
5 Loi du 18 mars 2021
6 Le Portugal avait adopté une loi sur l’euthanasie le 29 janvier 2021, finalement censurée par la Cour constitutionnelle
7 CEDH, 29 avril 2002, Pretty contre Royaume-Uni

  • Egalité de tous les français face à la fin de vie.

  • Le constat des inégalités face à la mort appelle une refonte de notre système. En effet, si, en théorie, les médecins ne peuvent avoir de rôle actif dans la fin de vie, force est de constater qu’en pratique certains d’entre eux décident néanmoins d’aider leurs patients à abréger leurs souffrances.
    Une étude de l’INED de 2012 estime qu’entre 2.000 et 4.000 personnes terminent leur vie, chaque année en France, grâce à l’assistance active à mourir d’un médecin. Ces pratiques médicales, inavouables et incontrôlables, génèrent des inégalités considérables devant la fin de vie.
    De la même manière, les patients aisés ou résidant dans des zones transfrontalières peuvent se déplacer dans des Etats qui pratiquent l’euthanasie pour bénéficier d’une fin de vie conforme à leur volonté.
    Enfin, l’offre palliative est inégalement répartie sur le territoire. Vingt-six départements français – dont la Guyane et Mayotte – n’ont par exemple pas d’unités de soins palliatifs. Il en résulte, selon le Conseil national des soins palliatifs et de la fin de vie, que 62,2% des personnes majeures décédées en France en 2014 – soit 345.000 personnes – auraient du bénéficier de soins palliatifs .
  • Fraternité avec ceux qui sollicitent la fin de leurs souffrances.

  • Selon une étude de l’IPSOS de mars 2019, 96% des français souhaitent que la législation française autorise l’aide médicale active. L’opinion publique converge ainsi nettement en faveur de la reconnaissance d’un droit à la détermination de sa mort.
    De plus, diverses autorités ont produit des rapports et avis appelant une évolution législative.
    Il en va ainsi notamment du Comité consultatif national d’éthique et du Comité économique et social qui considèrent, d’une seule voix, que le droit interne ne satisfait plus aux besoins sociaux.

  • « On meurt mal en France ». Pour ne pas laisser cet adage se pérenniser, il est impératif de faire évoluer les lois bioéthiques.
    Depuis la fin 2017, pas moins de six initiatives parlementaires ont émergé à l’Assemblée nationale pour faciliter la mise en place d’un « droit à mourir dans la dignité ». A chaque reprise, ces tentatives ont fait l’objet d’obstructions parlementaires et ont finalement été avortées .
    Il convient, dès lors, de faire évoluer définitivement la législation française, qui se présente comme une anomalie parmi les autres démocraties européennes.

  • 8 « Je n’ai jamais été aussi paisible que depuis que cette décision a été prise », Ouest France, 23 mai 2018
    9 Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France, 2018
    10 Avis 129 sur l’accompagnement de la fin de vie, sept. 2018
    11 « Fin de vie : la France à l’heure des choix », avis du CESE, avril 2018
    12 La dernière proposition de loi, en date du 26 janvier 2021, a finalement été abandonnée
  • Appliquer les acquis
  • Généraliser la pratique des soins palliatifs, en reconnaissant un « droit aux soins palliatifs », et en déployant des unités d’intervention pour en garantir l’accès à tous.
  • Augmenter les moyens pour améliorer l’application de la loi Claeys-Léonetti.
  • Conformément au rapport de la Haute autorité de Santé, mettre à disposition des médecins dans toutes les pharmacies de ville le Midazolam, puissant sédatif.

  • Approfondir les acquis
  • Encadrer la pratique de l’assistance médicale active à mourir au sein du Code de la santé publique. Cet encadrement ne peut se limiter à une dépénalisation et doit faire l’objet d’une loi fixant les critères précis d’accès à ces soins.
  • Instituer, en outre, une commission nationale chargée de veiller aux exigences légales.
  • Développer l’enseignement en soins palliatifs dans la formation initiale des médecins.

Solène BERNISSAN

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