Justice sous influence


Les philosophes des Lumières considéraient que la loi était l’expression de la volonté générale, et donc qu’elle devait être la source exclusive du droit. Montesquieu écrivait : “Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur”. (De l’esprit des lois – 1748).

Dans notre société, le juge, au nom du peuple, est toujours chargé d’appliquer une règle de droit aux faits du litige et pour ce faire d’une part il vérifie la matérialité des faits (de quoi s’agit-il ?), d’autre part il qualifie juridiquement les faits afin de déterminer la règle de droit applicable.

Si aucune règle n’est prévue par la loi pour la situation qui est soumise au juge, ce dernier doit interpréter la loi pour trouver une solution. En effet, quand la loi est insuffisante, manque de précision ou est ambigüe, le juge doit tout de même juger. Par exemple, l’article 9 du code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée », s’agissant d’une notion assez vague, c’est la jurisprudence des tribunaux qui a précisé au fil du temps ce qui relève de la vie privée.

Le juge va également devoir s’adapter aux évolutions de la société (ex : vie privée et réseaux sociaux) et donc parfois concourir à l’évolution du droit (arrêts de principe : Cour de Cassation ou Conseil d’Etat).

Rappelons toutefois que d’une part une décision de justice a une portée limitée au litige qu’elle règle , d’autre part que toutes les décisions d’un juge doivent être fondées sur une règle de droit et non sur l’équité ou la morale

Comme il est dit plus haut, le juge se prononce au nom du peuple. Or de plus en plus souvent soit le citoyen considère qu’il y a un déni de justice, soit il s’interroge sur les motivations profondes qui sous-tendent certaines décisions de justice. Le mis en cause, criminel ou non, devient la victime et les juges se révèlent être souvent sous l’influence de l’air du temps ou de leurs propres convictions à contre pied des propos de Montesquieu.

 Article 4 du code civil: « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».

 Article 1355 du code civil : autorité relative de la chose jugée.

 Article 12 du Code de procédure civile :“le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables”.

Quand la culture de l’excuse s’appuie sur une application stricto sensu du droit   

 Article 12 du Code de procédure civile :“le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables”.

  • Dans l’affaire du meurtre de Mme Sarah HALIMI, confirmant la position de la Cour d’Appel de Paris du 19 décembre 2019, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 14 avril 2021, a appliqué stricto sensu l’article 122-1 du code pénal selon lequel n‘est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La loi ne prévoyant pas de distinction selon l’origine du trouble psychique, la Cour a conclu à l’irresponsabilité du meurtrier lequel, selon certains experts, aurait agi sous l’emprise de bouffées délirantes résultant de la consommation régulière de produits stupéfiants.

Pourtant en général, la prise de stupéfiant est une circonstance aggravante et non exonératoire notamment en cas d’accident de la circulation (Arrêt Cour de Cassation 9 mai 2018 n°17-83481 : « les fautes commises par le conducteur du scooter, qui roulait dangereusement, de nuit sans phare allumé dans un état d’ébriété important et sous l’emprise du cannabis, sont la cause exclusive de l’accident »).

Plus surprenant encore par rapport à l’arrêt du 14 avril, celui de la Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 février 2018, 17-86.952, dans une affaire de tentative de meurtre, qui valide la position des juges instructeurs, lesquels « évoquent (..) la consommation importante de stupéfiants, qui ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement mais au contraire comme une circonstance aggravante », écartant ainsi l’application de l’article 122-1 du code pénal.

Pourtant, dans cette affaire, il y avait eu trois expertises médicales de l’intéressé, deux ont conclu à l’abolition de son discernement et la troisième à l’altération de son discernement. La Cour a choisi de valider la position de la chambre d’instruction, laquelle s’est appuyée sur des éléments plus objectifs (souvenirs précis du mis en examen, le mécanisme de son état au domicile de sa victime, le choix des armes).

Rappelons pour mémoire que dans l’affaire de Mme HALIMI l’agresseur était un multirécidiviste condamné à multiples reprises pour usage et trafics de stupéfiants, vol, violences, outrage et rébellion, sans jamais avoir été considéré comme irresponsable. De plus, un des experts avait conclu que la consommation de cannabis ayant été délibérée et volontaire, le meurtrier ne pouvait être exonéré de sa responsabilité.

Quelques interrogations demeurent :

  • Pourquoi dans l’affaire HALIMI la Cour n’a-t-elle pas considéré que la prise volontaire et durable de produits stupéfiants engage de fait la responsabilité du consommateur si à terme cela le conduit à l’abolition de son discernement ?

Cette décision interpelle d’autant plus qu’elle ouvre la porte à de sérieuses possibilités de dérives à partir du moment où la prise de cannabis peut permettre de bénéficier des dispositions de l’article 122-1 du code pénal.

  • Quelle est la valeur des expertises psychiatriques au cas particulier : comment peut-on être certain a posteriori qu’il y avait au moment des faits abolition et non pas simplement altération du discernement ?
  • Si l’agresseur avait été un néo-nazi notoire sous l’emprise de stupéfiants, la décision aurait-elle été la même ?
  • Dans l’affaire du meurtre de Mme Stéphanie M. à Rambouillet, l’assaillant est présenté comme en état de dépression, avec certains troubles de la personnalité selon le procureur, le confinement aurait précipité sa dérive selon son père. Les experts puis un juge l’auraient-ils également considéré comme irresponsable ?
  • Attentat de la Basilique de Nice du 29 octobre 2020 (trois morts) : le principal suspect prétendant ne pas se souvenir des événements survenus en France, ni de son passage de plus d’un mois en Italie, ni même à quelques détails près de son passé en Tunisie, un psychiatre et un neurologue ont été missionnés par la justice pour se prononcer sur ces pertes de mémoire : encore un futur irresponsable ?

Bien entendu, il n’est pas question pour la justice d’occulter les circonstances personnelles ou de contexte ayant conduit à la réalisation d’une infraction, d’un délit ou d’un crime (circonstances atténuantes ou aggravantes pour la détermination des sanctions) mais elles ne doivent en aucun cas devenir exonératoires quand il s’agit de racisme, antisémitisme ou d’idéologie religieuse.

Application du droit et morale ou quand les juridictions s’éloignent du terrain juridique pour investir celui de la morale ou de l’air du temps

  • Affaire Sandra MULLER – Eric BRION : le 13 octobre 2017, la journaliste Sandra MULLER publie quatre tweets dont un sous le hashtag #BalanceTonPorc, visant à accuser l’ex-patron d’Equidia, Eric BRION, de harcèlement sexuel dans le cadre professionnel.

Ce dernier avait certes tenu des propos qu’il qualifie lui-même de graveleux lors d’une soirée en 2012, hors cadre professionnel et il n’avait pas réitéré lesdits propos, pour lesquels il avait d’ailleurs présenté des excuses le lendemain.

Compte tenu de l’effet dévastateur dans sa vie professionnelle et privée de ces tweets, Eric BRION dépose une plainte en diffamation et obtient gain de cause le 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris estimant qu’il y a absence de preuve de harcèlement sexuel (absence de répétition des faits et absence de chantage) notamment au travail (absence de lien de subordination ou de collaboration entre les parties).

Compte tenu du contexte dans lequel ces tweets ont été publiés (affaire WEINSTEIN se référant à des faits criminels et délictueux) et des termes forts (« toi aussi », « porc », « balance »), le tribunal a considéré que les tweets contenaient bien l’accusation d’avoir commis l’infraction de harcèlement sexuel au sens juridique et que Mme MULLER avait dépassé les limites acceptables de la liberté d’expression.

Mme MULLER, condamnée à verser des dommages – intérêts, fait appel et obtient gain de cause, non pas que la cour conclut à l’effectivité d’un harcèlement mais à la bonne foi de la requérante.

En effet, le 31 mars 2021, la cour a considéré, contrairement au jugement initial, que le terme « harcèlement » n’avait pas été utilisé au sens juridique du terme mais dans le sens commun de la vie courante et en toute bonne foi car les tweets avaient été publiés « dans le cadre d’un débat d’intérêt général ».

 Article 29 de la loi de 1881 sur la presse : la diffamation est l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne.

Dans cette affaire le juge, qui se garde bien de préciser ce qu’est un harcèlement au sens commun du terme, tourne le dos à l’analyse objective des faits et du droit pour y substituer un jugement moral, conforme à l’air du temps, créant une jurisprudence hors sol et rompant l’équilibre fragile entre la liberté d’expression et la protection du citoyen.

  • Affaire FILLON (cf. l’article Vox Nostra « Intérêt supérieur de la Nation et État de droit ») : le 29 juin 2020 rejetant tous les arguments de la défense ainsi que les nombreux arrêts de jurisprudence cités, la magistrate a prononcé une sanction lourde à l’encontre de François FILLON (cinq ans de prison dont deux fermes pour détournement de fonds publics).

Ce qui interpelle, c’est que la présidente ne cite aucune jurisprudence pour appuyer son jugement mais considère que les faits sont suffisamment graves eu égard à la fonction de premier ministre.

Elle considère que l’ex-premier ministre a manqué à son devoir de probité et d’exemplarité, contribuant à éroder la confiance des citoyens.

Ainsi que titrait Romain GUINERT dans le Point du 29 juin 2020 : « Procès FILLON : 5 ans de prison et une leçon de morale ». La magistrate aurait-elle fait primer la morale pour déterminer les sanctions ?

  • Viry – Châtillon : dans son réquisitoire du procès en appel des agresseurs des policiers de Viry-Châtillon, l’avocat général fait la morale aux prévenus les enjoignant à « assumer leurs actes et devenir un homme, en brisant cette loi du silence, en parlant non pas pour propager des rumeurs ou parler seulement entre vous, mais avec tous les citoyens venus d’horizons différents et qui font la richesse de notre pays dont vous êtes, ne vous en déplaise, aussi les enfants. ».

Ces propos cadrent parfaitement avec la préoccupation dominante de ne pas stigmatiser certaines populations, voire de redire une fois de plus que l’immigration est une chance pour la France, les treize accusés étant tous enfants ou petits-enfants d’immigrés subsahariens ou maghrébins.

Ces propos sont parfaitement raccords avec l’attitude du chef de l’État François HOLLANDE, lequel, à l’époque, ne s’est jamais déplacé au chevet des deux policiers gravement brûlés mais a préféré visiter Théo LUHAKA blessé après une échauffourée avec des policiers en Seine-Saint- Denis.

Photo de Arnaud JOURNOIS / Le Parisien : source AFP

Quand le droit lui-même est défaillant (Viry Châtillon)

Pour mémoire, le 8 octobre 2016, des policiers étaient attaqués, par une bande de jeunes, dans leurs véhicules (une Peugeot 308 et une Renault Kangoo) à coups de cocktail Molotov, avec intention de tuer.

                                                                 Photo de Thomas SAMSON /AFP

Les policiers surveillaient un carrefour réputé pour ses vols à la portière, ce qui gênait sans doute les activités délictueuses. Les assaillants sont arrivés par l’arrière : vitres cassées, coups de poing pour empêcher les passagers de sortir, cocktail Molotov jetés sur leurs genoux.

Le mobile était évident ainsi que l’intention, tous les participants étaient connus et fréquentaient la même rue, mais ils portaient des cagoules et des vêtements similaires. Or le droit français ne reconnaît pas les intentions collectives (sauf en cas de terrorisme) et il faut donc pouvoir attribuer à chacun des auteurs l’acte qu’il avait commis, ce qui est très difficile sans témoignage surtout dans un quartier où règne la loi du silence.

Voilà pourquoi la procédure a été si longue, pourquoi sur les treize mis en examen au départ seulement cinq ont été condamnés pour tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique (6 à 18 ans de prison), avec à la clé une bagarre générale dans le box des accusés au moment du rendu du jugement, et surtout pourquoi les policiers sont en colère face à une justice qu’ils considèrent comme étant laxiste, d’autant que les peines sont moins lourdes qu’en première instance.

En conclusion, une justice incomprise est contestée, ne peut plus prétendre être rendue au nom du peuple et perd sa légitimité, ce qui ne peut que fracturer un peu plus notre société. Une société en pleine mutation marquée par de nouvelles formes de violences souvent décomplexées et parfois gratuites.

Nos propositions

  1. Modification de l’article 122-1 du code pénal en indiquant que la prise volontaire de produits stupéfiants ayant pu conduire à abolir le discernement ou le contrôle des actes n’entraîne pas l’irresponsabilité pénale.
  2. Légiférer afin de reconnaître en droit pénal français le délit d’intention collective afin de permettre de sanctionner de manière exemplaire tous les membres d’un groupe ayant participé collectivement à la réalisation d’un délit ou d’un crime. Dans l’affaire de Viry-Châtillon peu importe qui a cassé les vitres, qui a donné les coups de poing, qui a jeté des pierres ou qui a lancé les cocktails Molotov, ce qui compte c’est la participation à l’action d’un groupe avec une intention bien claire de tuer.
  3. Pour les personnes incarcérées pour des atteintes sur personne dépositaire de l’ordre public ou actes de terrorisme, ni crédits de réduction de peine ni remise supplémentaire de peine.

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