« Liberté, Égalité et Fraternité » est la devise de notre République qui orne l’ensemble de nos bâtiments publics.
Elle reprend pour partie l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui déclare que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ».
Mais avoir des droits implique de respecter ceux des autres et, à ce titre, tout citoyen doit aussi assumer des devoirs.
La valeur de justice, qui sous-tend ces notions, et celle de fraternité fabriquent le ciment de notre République.
Mais est-ce que l’égalité en droits est toujours juste ?
Et son corollaire, est-ce que toute inégalité est nécessairement injuste ?
Est-ce que la recherche à tout prix d’égalité ne génère pas sa perversion sous une forme d’égalitarisme ?
Enfin, est-ce que la valeur d’équité ne serait pas alors plus adaptée ?
Sans rentrer dans une réflexion purement philosophique, un regard pragmatique sur certaines situations sociétales peut éclairer le sujet et nous renseigner sur le rôle que l’État pourrait jouer en modifiant les dérives constatées afin de conserver la noblesse de cette quête d’égalité sans porter atteinte au sentiment d’équité.
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » mais ils naissent aussi avec des qualités, capacités et talents différents.
Soljenitsyne résumait bien, dans sa citation rappelée ci-dessus, le délicat équilibre entre liberté et égalité.
« Tous les hommes sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres » pour paraphraser George Orwell dans sa satire du mythe communiste « la Ferme des Animaux ». Nous sommes en effet par nature inégaux en raison notamment de nos différences génétiques à la naissance, d’éducation ensuite et de destinée enfin.
Dans ce contexte où rien n’est certain ni acquis, c’est-à-dire les conditions de la vie, notre République a l’ambition de réduire ces possibles inégalités en en gommant les principales aspérités dans une dynamique fraternelle, objectif humaniste et noble s’il en est.
Ainsi, et sous une quête de justice sociale, les pouvoirs publics n’ont eu de cesse de promouvoir l’égalité sous ses 3 dimensions :
- L’égalité des droits
- L’égalité des chances
- L’égalité des situations (c’est-à-dire un rapprochement des conditions matérielles et socio-économiques entre individus).
Cependant, force est de constater que les dernières décennies ont donné naissance à des dérives de cette quête d’égalité qui s’apparente quelquefois à de l’égalitarisme. Ces dérives génèrent des conséquences néfastes, avérées aujourd’hui ou en devenir, mettant en péril ces principes humanistes de départ, susceptibles d’opérer un déclassement progressif de la France et de menacer à terme notre cohésion sociale.
L’égalitarisme, perversion migratoire de l’égalité, en a conservé les « droits » tout en abandonnant partiellement ou totalement les contreparties en matière de «devoirs».
Nous en trouvons la manifestation dans de nombreux domaines.
Nous prendrons 2 domaines spécifiques pour illustrer ce propos :
- L’enseignement
- La redistribution des richesses.
Le domaine de l’enseignement
Nous assistons année après année à une lente dégradation de nos performances éducatives concentrées principalement dans le triptyque école primaire/collège et lycée/université :
- En 2015, seulement « 60% des élèves ont une maîtrise suffisante des compétences attendues en compréhension de l’écrit et étude de la langue en fin de scolarité primaire » (étude Cedre 2015).
- Selon l’enquête PISA 2019, 40% des écoliers présentent des lacunes importantes à l’issue du CM2, surtout en calcul, en écriture ou en lecture.
- L’enquête TIMSS 2020, qui évalue les performances en mathématiques des élèves de primaire et collège, positionne la France dernière d’Europe, et avant-dernière des pays de l’OCDE, juste avant le Chili.
- Les universités françaises reculent régulièrement dans les classements annuels internationaux : en 2019, seulement 21 universités françaises figurent dans le top 500 mondial (classement Shanghai), aucune dans le top 20 (3 pour le Royaume-Uni dans le top 20, 32 pour les États-Unis dans le top 50).
L’analyse des raisons de ces résultats insuffisants (elles sont sûrement multiples) n’est pas l’objet de cet article.
Mais nous pouvons constater dans le même temps :
- L’abandon progressif des redoublements de classe en primaire, collège, lycée
- La dévalorisation régulière du BEPC en fin de 3ème
- Des taux de réussite au baccalauréat toujours meilleurs pour atteindre 96% en 2020
- Le recul progressif et excessif des épreuves sélectives en faveur du contrôle continu (qui conserve néanmoins sa valeur)
- Des amphithéâtres en universités toujours plus bondés d’une année sur l’autre à chaque rentrée scolaire
- 31% des étudiants inscrits en licence renoncent dès la première année, et 13% de plus au cours de leur deuxième année (ref. note ministérielle « Parcours et réussite en licence » publiée le 21 novembre 2017)
Ne faut-il pas y voir, entre autres raisons, aussi la manifestation d’une mise en œuvre excessive du principe d’égalité des chances d’accès à l’instruction, au détriment de la promotion des valeurs d’effort, de mérite, de talent en réduisant à sa portion congrue tout esprit de sélection/orientation et de compétition ?
Cet égalitarisme d’éducation/instruction entraîne, dans ses effets négatifs, l’échec plus tardif, mais encore plus violent, pour des étudiants qui ne sont pas préparés, ni orientés aux formations supérieures dispensées.
Un îlot subsiste dans ce contexte insuffisamment méritocratique : les grandes écoles, symbole de l’excellence scolaire française, formant l’élite de demain, et qui recrutent leurs étudiants à l’issue d’un parcours très sélectif (concours d’entrée après 2 à 3 années de préparation en classes préparatoires).
Cependant, là aussi, des « fissures » commencent à apparaître dans le processus sélectif d’intégration des grandes écoles. Sur la base d’études sociologiques indiquant que la diversité sociale est insuffisamment représentée parmi les effectifs, des principes de discrimination positive commencent à se développer au sein des processus d’inscription.
Un exemple éclairant concerne Sciences Po : après avoir ouvert l’admission aux bacheliers issus de ZEP sur dossier, l’école a décidé de supprimer les épreuves écrites d’admission, dont celle de culture générale, pour axer les critères d’admission uniquement sur les notes de contrôle continu au lycée, les notes du bac et un entretien oral.
Il est à craindre que ces principes d’ouverture à plus de mixité sociale au détriment de la sélection des meilleurs ne s’appliquent plus largement aux grandes écoles, comme le suggère le rapport «Diversité́ sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur » rédigé́ par le comité stratégique à la demande de madame Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
L’exemple de l’ESSEC offre pourtant une alternative intéressante : plutôt que de désévériser les conditions d’entrée à Sciences Po, l’Essec a ainsi mis en place, à partir de la classe de seconde, un tutorat qui vise à préparer les élèves des ZEP aux filières d’Excellence.
Est-il équitable d’éliminer des candidats meilleurs pour faire place à des candidats moins bons au motif que leurs origines sociales les défavoriseraient ?
N’attendons pas prioritairement de nos élites qu’elles soient constituées des meilleures intelligences plutôt qu’elles ne représentent la diversité sociale du pays ?
Il nous semble urgent de revenir à beaucoup plus de méritocratie et de sélection, avec une éventuelle réorientation des élèves, en créant les conditions d’une excellence accrue et non plus d’une politique de masse dans le parcours menant au baccalauréat et se poursuivant en universités.
La redistribution des richesses
C’est un sujet central qui a l’objectif de combattre les inégalités de naissance ou d’existence en faisant jouer le principe de solidarité, ce qui rejoint en ce sens la valeur fraternité de notre République.
L’État social joue ce rôle par l’impôt progressif et en octroyant des prestations sociales : couverture santé, chômage, retraite, allocations familiales, etc.
Il n’est pas question de contester la légitimité de ces droits qui assurent le ciment de solidarité entre toutes les couches de notre population.
Mais on soigne les inégalités en accordant des prestations sans toujours réclamer de contrepartie et sans en mesurer leur efficacité. C’est l’emballement de cette logique qui peut poser problème, à titre d’équité d’abord:
- Est-il équitable de considérer que moins d’un ménage sur deux paie l’impôt sur le revenu ?
- Est-il équitable de rétribuer de la même manière 2 chômeurs qui ne montrent pas le même empressement à retrouver un travail ?
- Est-il équitable de distribuer des allocations familiales à des familles qui n’apportent pas de soin suffisant à élever leurs enfants ?
- Est-il équitable que des personnes dont l’état sanitaire n’est pas critique encombrent les urgences car les soins dispensés sont gratuits au risque de contraindre l’accès à ceux qui en ont réellement besoin ?
À titre économique ensuite :
- Toutes les caisses de prestations sociales sont en déficit
- Nous cumulons une dette publique globale de 2600 milliards d’euros (chaque nouveau-né naît avec une dette de 50000 euros)
- Les impôts ne peuvent raisonnablement plus augmenter car nous disposons d’un des taux d’imposition les plus élevés au monde
Et ainsi à titre d’équité de nouveau :
- Est-il équitable de faire peser sur les générations futures nos dérapages économiques ?
Il nous semble indispensable de repenser l’ensemble du système redistributif des richesses, en instaurant plus de contrôles et de contreparties dans son application, en les orientant vers les résultats et les performances, et en veillant à un meilleur équilibre des dépenses et des ressources sous l’action d’un État « bon père de famille », ce qui renforcerait l’équité générale du système.
Conclusion
Notre pacte républicain, symbolisé par la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est quelquefois mis à mal sous l’impulsion d’un État parfois trop Providence ou trop protecteur.
Nous appelons de nos vœux une justice sociale plus équitable qui pourrait entre autres prendre les formes suivantes :
- renforcer la performance de notre système éducatif en trouvant un plus juste équilibre favorisant
- l’égalité d’accès à l’instruction jusqu’en 3ème
- la promotion sélective du mérite (effort, talent)
- à renforcer dans le parcours scolaire menant au baccalauréat et en valorisant en parallèle les filières courtes (orientation)
- à mettre en place dans le processus d’intégration en universités
- à renforcer comme critère exclusif dans le processus d’intégration aux grandes écoles
- refonder les principes de notre redistribution des richesses en
- instaurant plus de contrôles et de contreparties (devoirs) dans l’application de l’ensemble de nos prestations sociales
- l’orientant résultats et performances
- veillant au meilleur équilibre ressources/dépenses
Plus globalement, l’État, au service de notre République, a et aura une responsabilité essentielle pour maintenir et renforcer notre cohésion sociale grâce à une valorisation préférentielle de la performance et du mérite, sous son contrôle équitable et protecteur.
Toute démarche de discrimination positive (origines sociales, sexe, handicap…) sera utilement évaluée et mise à l’épreuve selon ces critères.