Dans un article précédent, nous avons commencé à réfléchir sur la mise en place d’un revenu identique distribué chaque mois à tous les membres d’une communauté.
Ce revenu est évoqué par tous les courants politiques mais selon des modalités de mise en place différentes et avec des dénominations diverses : revenu universel, revenu d’existence, allocation universelle, revenu minimum garanti ou encore revenu de base.
En effet, l’idée n’est pas neuve et a circulé selon les époques dans plusieurs familles politiques et intellectuelles, cependant, elle est devenue un concept nouveau et un argument électoral de premier plan. Le revenu de base a été un sujet clé de l’élection finlandaise d’avril 2015, puis a fait l’objet d’un référendum en Suisse le 5 juin 2016. Il est également la mesure phare de Benoît Hamon, candidat socialiste à l’élection présidentielle d’avril 2017 en France.
Cette proposition débouche sur de nombreuses questions philosophiques, économiques, sociologiques.
Les points d’entrée sont variés : proposition d’un socle de revenu qui élimine la grande pauvreté, potentiel simplificateur, caractère intégrateur d’un mécanisme universel s’appliquant à toute la population d’un pays.
Par ailleurs, et c’est peut-être là que résident les principales difficultés : pourquoi la communauté nationale financerait-elle des personnes qui ne veulent pas travailler ? Ce régime universel ne risque-t-il pas d’affaiblir une protection sociale héritée de décennies de luttes sociales ? Comment équilibre-t-on le financement ?
La réflexion qui est ouverte aujourd’hui par Vox Nostra n’est qu’un point d’entrée, voire un angle d’analyse particulier qui a vocation à évoluer car la mise en œuvre d’un revenu d’existence nécessite de revisiter l’organisation globale de notre société nationale (fiscalité, place du travail, productivisme, croissance obligatoire, démographie ou encore changement climatique) et notre rapport au reste du monde.
Quel nom ?
La dénomination qui nous paraît la plus claire et correspondant à notre vision de ce revenu, est “revenu d’existence”. En effet, un socle mensuel permettrait à chaque citoyen, quelle que soit sa situation, de ne pas avoir l’angoisse de ne pas pouvoir se nourrir ou de vivre dans la rue.
Aujourd’hui, la proposition d’un revenu d’existence s’inscrit dans la continuité de l’instauration du RMI en 1988 et du RSA en 2008. Le créateur du RMI, Lionel Stoléru, auteur en 1974 de la première proposition élaborée de revenu universel en France, rappelait inlassablement que le fait de ne pas savoir le matin en se levant comment sera assurée sa subsistance quotidienne est le premier obstacle à l’insertion dans l’activité économique.
Faut-il une contrepartie ?
Est-il concevable que l’on donne un revenu à une personne sans lui demander d’assurer une activité, de rendre un service à la collectivité nationale ?
Cette proposition implique un saut philosophique qui suscite de nombreuses résistances sur l’ensemble de l’échiquier politique : encouragement à la paresse, primauté du travail pour exister socialement ou « comme facteur d’émancipation, comme vecteur de mobilité sociale » (Emmanuel Macron).
Force est pourtant de constater qu’en France nombre de prestations découplant travail et revenu existent déjà : bourses étudiantes, pensions de retraite, allocations sociales… Et depuis 2007 existe le RSA (revenu de solidarité active) qui a succédé au RMI (revenu minimum d’insertion). Cette prestation sociale d’un montant de 535 euros constitue de facto pour les plus pauvres un revenu de base. Seulement, son mode de distribution est complexe. Du coup, près des deux tiers des bénéficiaires potentiels du RSA activité (le RSA pour ceux qui travaillent à temps partiel) ne le demandent pas.
Dans un contexte mondial de surpopulation, en pleine mutation technologique et climatique détruisant à court terme des millions d’emplois, la vraie question est de savoir si, à moyen terme, il y aura du travail pour chacun. Dans la négative le travail perdrait son rôle social majeur au profit de notions telles que la participation, l’adhésion à un collectif (ex : en contrepartie d’un revenu d’existence et sans emploi, donner quelques heures de bénévolat quel que soit le domaine: aide à nos aînés en EHPAD ou à domicile, accompagnement scolaire, aide au déplacement, collecte et distribution d’aliments, de vêtements etc..).
Une contrepartie indirecte à la simplification que représente la mise en place d’un revenu d’existence (attribution automatique sans démarches, suppression des autres aides sociales) serait des coûts de gestion réduits pour l’Etat et les collectivités territoriales donc des économies budgétaires conséquentes pouvant être orientées vers le financement de ce revenu d’existence.
Quel montant ?
Le seuil serait à définir après plusieurs calculs. On pourrait par exemple le placer à 900 euros, ce qui correspond aujourd’hui au niveau de l’Allocation Adultes Handicapés ou encore de l’Allocation Solidarité aux personnes âgées. Le RSA, lui, est fixé à 500 euros, loin de cette somme indispensable pour s’en sortir dignement.
Il faut donc un revenu d’existence qui ne soit pas un revenu de survie mais qui permette d’être en sécurité. Comme l’explique très bien la Prix Nobel d’économie Esther Duflo, plus on aide les gens, moins ils ont peur du lendemain et des difficultés. Dans ces conditions, ils sont en sécurité et donc beaucoup plus disponibles précisément pour chercher un emploi, faire un projet professionnel, se projeter dans l’avenir, etc. C’est tout l’inverse de ce qu’on entend souvent en France, à savoir l’idée que plus on aide les gens, plus ils sont assistés et restent dans leur canapé.
Pour qui ?
Plusieurs hypothèses sont envisageables : toute la population (de la naissance à la mort d’un individu), la population active (de 18 ans à 65 ans par exemple), les étudiants et les chômeurs de longue durée ou encore selon les revenus.
Dans les choix qui seront faits, ce qu’il ne faut pas perdre de vue est le paramètre de la simplicité. En effet, plus on soumettra le bénéfice de ce revenu à des conditions, plus les démarches seront complexes, plus le coût de gestion sera élevé ainsi que les risques de fraude et moins le public visé pourra en bénéficier (cf. ci-dessus l’observation relative au RSA).
En outre, il faudra un accompagnement social renforcé, pour soutenir de manière efficace et si nécessaire, vers l’emploi ou vers une activité d’utilité sociale, les bénéficiaires du revenu d’existence. C’est un moyen d’éviter les petits boulots payés au noir qui se multiplient aujourd’hui et les files d’attente pour les banques alimentaires qui s’allongent.
Enfin, il est évident que seuls pourront en bénéficier les nationaux ou les étrangers remplissant des conditions de résidence prolongée sur le territoire, conditions suffisamment dissuasives pour éviter tout effet d’aubaine.
Quel financement ?
Voilà la question sensible et centrale à laquelle nous n’avons pas la prétention de répondre ici car le sujet est complexe d’autant qu’il nécessitera obligatoirement, selon nous, une réforme fiscale.
Mais posons le problème en quelques chiffres :
- Attribuer un revenu d’existence de 900 € mensuels à l’ensemble de la population française sans condition d’âge ou de ressources représente un budget annuel d’environ 724 Mds d’euros.
En 2018, le montant total des prestations sociales (santé, retraite, famille, chômage) en France s’est élevé à 741,1 milliards d’euros dont 80%, environ 600 Mds, pour la santé et les retraites. Ces deux postes étant actuellement incompressibles (sauf à revoir drastiquement le régime général des retraites et la protection santé), la mise en place d’un revenu d’existence, impliquant la suppression des aides existantes, ne serait financé par transfert de ces dernières qu’à hauteur d’environ 20%.
- En revanche, si ce revenu est limité à la population active, de 18 ans à 65 ans (hypothèse de retraite à 65 ans) le montant est réduit à environ 430 Mds d’euros.
En conclusion, sauf relance économique mondiale exceptionnelle, face à la montée inexorable de la pauvreté, la question d’un revenu d’existence va d’autant plus s’inscrire dans le débat politique que nous sommes peut-être aux prémices d’un changement des paramètres sociétaux.
Dans le cadre de cette réflexion sur le revenu d’existence nous proposons les orientations suivantes:
- La mise en place d’un revenu d’existence doit avoir pour conséquence la suppression des aides existantes, ce qui entraîne notamment une simplification des démarches pour le citoyen et des économies pour l’Etat en termes de charges de gestion.
- Les conditions d’attribution doivent être les plus restreintes possibles pour éviter les fraudes. Il est constant que toute règle génère pour certains la tentation de contournement (ex : se prétendre femme seule avec enfants alors que vivant en couple afin de bénéficier de l’allocation femme seule avec enfant).
- Les effets d’aubaine éventuels doivent être anticipés,circonscrits et éliminés tant au stade de la réflexion que de la mise en œuvre.
- L’attribution de ce revenu doit répondre à un souci d’équité et ne doit jamais conduire à des situations où le bénéficiaire se retrouverait injustement avantagé (ceci dans l’hypothèse où des conditions de revenus seraient requises, ce qui est le cas pour la prime d’activité actuellement).
- Si la contrepartie à fournir pour le bénéficiaire ne doit pas être l’alpha et l’oméga présidant à l’attribution d’un revenu d’existence, toute réflexion doit en intégrer la possibilité d’une part pour une meilleure acceptabilité par l’ensemble de la société, d’autre part en ce qu’elle pourrait être un moyen d’insertion et de valorisation personnelle pour les personnes en recherche d’emploi.
- Il apparaît raisonnable pour des raisons évidentes de financement d’exclure les jeunes de moins de 18 ans ainsi que les retraités tout en s’assurant que ces derniers bénéficient d’une retraite d’au moins 900 €.
- Ce revenu d’existence doit être imposable à l’impôt sur le revenu toujours dans une optique d’équité et de redistribution.
- La mise en place de ce revenu doit s’accompagner d’une réflexion sur la fiscalité (financement).