Et si l’on instaurait un revenu universel en France ? (partie 1/2)
Favoriser l’égalité et la liberté dans notre démocratie française
Un revenu universel, c’est quoi ?
Le revenu universel, ou revenu de base, est une somme d’argent versée tous les mois à chaque citoyen, sans aucune condition et cumulable avec d’autres revenus. L’idée est apparue dès 1516 avec Thomas More dans son ouvrage Utopia. Il imagine alors « une île où chacun serait assuré des moyens de sa subsistance sans avoir à dépendre de son travail ».
L’idée sera reprise par de nombreux philosophes au XXe siècle dans un but d’égalité.
Le revenu universel favoriserait l’égalité et la liberté dans la mesure où chaque individu recevrait le même montant et pourrait décider d’y ajouter d’autres revenus en travaillant. Cette mesure pourrait aussi améliorer la flexibilité du marché du travail en réduisant les trappes d’inactivité. De plus, un revenu de base améliorerait les conditions de travail des employés pouvant davantage négocier leur salaire et pourrait favoriser l’indépendance économique des femmes au foyer. Enfin, il pourrait aider dans la lutte contre le chômage en encourageant l’entrepreneuriat : le revenu universel pourrait favoriser la mise en œuvre de projets dont la rentabilité est incertaine ou ne s’observe que sur le long terme, comme la création d’entreprises.
Un sujet actuel ?
Aujourd’hui, face au développement des nouvelles technologies, aux dégâts économiques dus à la pandémie, à l’augmentation de la pauvreté1, cette question se pose légitimement.
En effet, ce sujet anime l’ensemble des sensibilités politiques depuis plusieurs années sous différents vocables (dividende universel, revenu citoyen, revenu de base, revenu d’existence, allocation universelle, revenu social garanti etc..) et demeure bel et bien d’actualité. Ce sera sans doute l’un des thèmes de la prochaine élection présidentielle. D’ailleurs, selon Le Parisien du 4 janvier, les députés LR Julien Dive et Stéphane Viry, réputés proches de Xavier Bertrand, candidat très probable à la présidentielle de 2022, planchent sur la création d’un revenu minimal universel, lequel serait garanti sous condition de servir d’une façon ou d’une autre l’intérêt général. Son montant pourrait être situé entre le seuil de pauvreté et le smic, afin de «ne pas donner l’impression que l’on dévalorise la valeur travail », précise Julien Dive.
1 La pauvreté telle que définie par l’Insee, c’est-à-dire le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté (soit un peu plus de 1 000 euros par personne), touchait déjà plus de 9,3 millions de personnes en 2019.
Dans L’Obs, le 15 décembre dernier, le député du Lot Aurélien Pradié, numéro trois du parti LR, plaidait ainsi pour la création d’un « revenu vital ».
Il ne fait aucun doute que les partis de gauche ne seront pas en reste sur ce thème, n’oublions pas que candidat à l’élection présidentielle de 2017 et aux primaires Manuel Valls proposait une « version revenu de base » qui est une « simplification des minimas sociaux ». Il évoquait une « allocation unique à partir de 18 ans ». Également candidat à la primaire, Benoît Hamon proposait lui un revenu de base plus ambitieux ayant une portée universelle (il remporte la primaire de gauche le 29 janvier 2017).
Toutefois il est intéressant de souligner que selon un sondage Harris pour LCP paru le 29 janvier 2017, plus de 60% des Français y sont hostiles. Rappelons qu’il s’agissait de la mesure phare du programme de Benoît Hamon, qui est arrivé en tête du premier tour de la primaire à gauche. L’idée séduit tout de même une majorité de sympathisants de gauche (55%).
Cette réticence s’explique par des questions
- Avec ou sans contrepartie ? Dans une société au sein de laquelle la valeur travail est prépondérante, l’idée d’accorder un revenu si minime soit-il sans une contrepartie passe mal chez certains craignant un encouragement au « farniente ». Il s’agit d’un préjugé qui a la vie dure. Or, ainsi que le souligne Mme Véronique Fayet, la présidente de l’association Secours Catholique-Caritas France : « Ces préjugés sur les pauvres sont sévères et répandus. Ils tendent à faire penser que les pauvres sont très contents de bénéficier d’une allocation et qu’ils n’ont, au fond, pas vraiment envie de travailler. Or, c’est vraiment méconnaître les gens : nous, au Secours Catholique, qui fréquentons ces personnes en situation de privation d’emploi tous les jours, on sait qu’ils n’ont qu’un seul rêve, celui de travailler, d’être comme tout le monde et de ne dépendre de personne. D’avoir une vie normale ».
Loin d’encourager l’inactivité, le philosophe et économiste belge Philippe Van Parijs, un de ses concepteurs, considère que le revenu universel encouragera le développement des activités qui comportent une dose importante de formation, permettant aux travailleurs de réaliser leur vocation, de s’essayer à une start-up, de faire ce qu’ils aiment vraiment faire, plutôt que ce qui paye suffisamment d’emblée. Il découragera au contraire les sales boulots, qui n’apprennent rien et humilient plus qu’ils ne valorisent. Et si l’on ne peut ou ne veut pas en améliorer la qualité, ils devront être mieux payés. Ce ne sera que justice.
Il apparaît donc que la contrepartie ne peut être, surtout à l’heure actuelle, l’alpha et l’oméga de l’attribution d’un revenu universel. - Quels bénéficiaires et quelles conditions ? Aurélien Pradié (n° 3 du parti LR, député du Lot) estime que tout jeune de 18 ans, quelle que soit sa situation sociale, devrait percevoir ce qu’il appelle un revenu vital. Cette idée était également défendue par Manuel Valls, lors de la présidentielle de 2017, évoquant une “allocation unique à partir de 18 ans”.
Pour Philippe Van Parijs, « l’objectif doit être d’introduire un revenu-socle inconditionnel : pour savoir si l’on y a droit, pas besoin de voir avec qui on vit, combien on gagne, ni si l’on est capable ou désireux de travailler ». Ainsi à titre d’exemple un « dividende territorial » est versé annuellement à chaque Alaskain depuis 1982, en fonction du rendement d’un fond investi à travers le monde.
Il s’agirait donc d’assurer un revenu ou une allocation de base à toute la population, c’est-à-dire distribuer de la naissance à la mort de chaque individu, quelle que soit sa situation, une somme d’argent pour assurer ses besoins fondamentaux.
Bien entendu cette idée rencontre nombre d’oppositions mais à bien y réfléchir, à mettre en place un revenu universel autant choisir la formule la plus simple. N’oublions pas que près des deux tiers des bénéficiaires potentiels du RSA activité (revenu de solidarité active pour ceux qui travaillent à temps partiel) ne le demandent pas en raison de la complexité des démarches à accomplir. Finalement, un revenu inconditionnel distribué sans contrôle faciliterait la vie de tout le monde.
Ce revenu étant imposable, pour les plus nantis, l’imposition garantira une équité redistributive. - Quel montant ? Pour Véronique Payet, laquelle milite plutôt pour un revenu minimum garanti pour les plus pauvres, le montant pourrait se situer à 900 €, « ce qui correspond aujourd’hui au niveau de l’Allocation aux Adultes Handicapés ou encore de l’Allocation Solidarité aux personnes âgées. Le RSA, lui, est fixé à 500 euros, loin de cette somme indispensable pour s’en sortir dignement. Le revenu minimum permettrait aussi de toucher à nouveau les 60 % de personnes qui devraient théoriquement toucher le RSA mais ne le touchent plus pour tout un tas de raisons souvent pratiques, comme c’est le cas actuellement en France. Enfin, il faut un accompagnement social renforcé, pour être soutenu de manière efficace vers l’emploi ou vers une activité d’utilité sociale. C’est le seul moyen d’éviter les petits boulots payés au noir qui se multiplient, et les files d’attente pour les banques alimentaires qui s’allongent ».
Le seuil de pauvreté étant fixé par l’Insee à moins de 1000 € par personne, la somme de 900 € paraît tout à fait réaliste. - Quel financement ? Les opposants au principe d’une revenu universel considèrent qu’il s’agit d’un projet utopique, lequel ne pourrait être financé que par une forte augmentation de la fiscalité, ce qui serait inacceptable dans un pays où la pression fiscale est l’une des plus lourdes du monde.
Pourtant Jean Eric Hyafil, doctorant en économie et militant du MFRB (Mouvement Français pour un Revenu de Base) : « C’est un faux problème. Sur le papier, cela peut sembler coûter cher, mais c’est trompeur. Si on recourt à l’impôt sur le revenu, il y a juste un phénomène de redistribution. » Pour l’État, le bilan serait nul : d’un côté, il distribuerait un revenu de base, ce qui a un coût, mais, de l’autre, il récupérerait cet argent sans avoir à augmenter les impôts puisque l’ensemble de la population se retrouverait plus riche. À la gauche qui s’inquiète de la perte de la valeur-travail, Hyafil répond que le revenu de base ne créerait pas une société où le chômage des pauvres serait acceptable mais vise à donner plus de pouvoir aux salariés pour qu’ils obtiennent « des boulots qui ont un sens ». Aux objections féministes, il réplique que distribuer un revenu individuellement, et non à un couple ou à une famille (comme c’est le cas du RSA), faciliterait l’autonomie des femmes qui, souvent, restent coincées auprès de leur conjoint par manque de moyens. Enfin, à la droite qui a peur d’une « nature humaine paresseuse », le militant répond que « les expériences passées montrent que, quand on distribue un revenu de base sans conditions, les gens ne quittent pas leur emploi pour ne rien faire de leur journée, mais diminuent leur temps de travail ou se forment pour obtenir un travail plus intéressant. » De plus, pour les pauvres qui touchent le RSA, passer à un revenu de base « inciterait à reprendre un emploi car, aujourd’hui, le système est si complexe qu’il y a toujours le risque que, quand on reprend une activité, on perde ses allocations et qu’on se retrouve avec un revenu moindre ».
N’oublions pas que la mise en place d’un revenu universel impliquerait de revisiter toutes les aides sociales existantes dont certaines en faisant double emploi seraient supprimées en tant que telles, les sommes correspondantes servant à financer le revenu universel (ex : les bourses étudiantes, le RSA etc..)
Conclusion
Dans une société où la précarité s’accroît de manière dramatique, où le coût des aides sociales pèse lourdement sur le budget de l’Etat sans résultats véritablement satisfaisants, où les évolutions technologiques détruisent des milliers d’emplois, la question d’un revenu universel ou de base (quel que soit le nom choisi) mérite d’être sérieusement posée.
Suivant le phénomène de « destruction créatrice » de Schumpeter, sur le long terme (plus de 20 ans), nous pourrons observer une hausse de la quantité d’emplois offerts. L’économiste Pascal de Lima explique dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, que le nombre d’emplois très qualifiés va augmenter tandis que les emplois moyennement qualifiés vont diminuer. Les emplois très peu qualifiés et très peu rémunérés seront très présents. Nous pourrions alors assister à une bipolarisation de la société : les très riches contre les très pauvres, pour qui un revenu de base serait bien utile.
Un prochain article abordera les conditions de la mise en place éventuelle d’un tel revenu, les enjeux budgétaires et se conclura par quelques propositions.