L’état de droit


On considère que la notion d’état de droit naît avec la Magna Carta ou Grande Charte par laquelle, en 1215, les barons anglais limitent certains pouvoirs arbitraires royaux, telle la confiscation des terres ou l’émission de taxes déraisonnables, par l’obligation de respecter un ensemble défini de lois et de coutumes. En outre, tous les hommes libres sont protégés des officiers royaux et ont droit à un procès équitable.

Aujourd’hui, l’état de droit est considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques. C’est un rempart contre l’exercice arbitraire du pouvoir. On opposera l’état de droit à l’état de police dans lequel les pouvoirs publics ne sont pas soumis aux normes (aucune contestation n’est possible).

Gouvernants et gouvernés doivent obéir à la loi. L’état de droit se caractérise par :

  • une hiérarchie de normes (la Constitution, les engagements internationaux, les lois, les règlements, les décisions administratives) ;
  • l’égalité devant la loi, ce qui implique que chacun puisse contester l’application d’une norme juridique dès lors qu’il la considère comme non conforme à une norme supérieure ;
  • des règles de droit prévisibles et connues de tous ;
  • des juridictions indépendantes pour trancher les conflits, donc une séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Ajoutons l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. ». Principe repris par la convention européenne des droits de l’homme « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement […] par un tribunal indépendant et impartial » (article 6§1). 

On ne peut que se féliciter de vivre dans un pays où chaque citoyen bénéficie d’une telle garantie mais cela n’exclut pas certaines questions.

Question sur l’indépendance des juges notamment par rapport au pouvoir politique ou plutôt l’utilisation du système judiciaire pour régler quelques comptes voire éliminer un(e) concurrent(e) par la divulgation opportune d’informations (vraies ou non, mais calomniez, calomniez… Il en restera toujours quelque chose) permettant de mettre en marche la machine judicaire dont la célérité est parfois très surprenante, quand on connaît les lenteurs habituelles des procédures, et questionne pour le coup sur l’impartialité de certains magistrats voire leur indépendance. A ce titre, et sans remettre en question le fond du dossier, l’affaire Fillon est assez emblématique puisqu’il s’écoule moins de deux mois entre les « révélations » du Canard Enchaîné  le 24 janvier 2017 et la mise en examen le 14 mars suivant, juste avant le 1er tour des présidentielles le 23 avril.

Comment ne pas s’interroger surtout après les déclarations de Mme Houlette, ex-procureure du parquet financier, le 10 juin 2020 devant la commission parlementaire indiquant que toute la chaîne hiérarchique remontant au plus haut niveau de l’Etat a fait pression pour que l’ouverture d’une information en urgence assure la mise en examen du principal candidat de l’opposition.

Question sur l’impartialité réelle des magistrats, soulevée notamment lors de la scandaleuse affaire dite du « mur des cons » du Syndicat de la magistrature en avril 2013 (affichage à prétention humoristique de photographies de personnalités politiques, de journalistes et de magistrats, tous supposés de droite. On y trouvait aussi des parents de victimes notamment un général, père d’une jeune femme assassinée).

Mais beaucoup plus prégnante est la question du rapport de l’état de droit à l’intérêt supérieur de la nation. En 1962 le Général de Gaulle affirmait « il y a d’abord la France, ensuite l’Etat, enfin, autant que les intérêts majeurs des deux sont sauvegardés, le Droit ». Lorsque le 18 juin 1940 il appelle les français à résister alors que le gouvernement légal de Vichy vient d’annoncer l’armistice avec l’Allemagne c’est très certainement au nom de ce qu’il considère comme l’intérêt supérieur de la France.

Il s’agit là de circonstances très exceptionnelles, mais ne constate-t-on pas depuis plusieurs années l’inversion complète du principe gaullien : d’abord le Droit, ensuite l’Etat et enfin la Nation. Or plus les principes qui sous-tendent les textes légaux sont vagues ou généraux, plus le juge dispose d’un pouvoir d’interprétation. Ainsi les cinq cours suprêmes (trois nationales et deux européennes1), imprégnées de principes humanitaires, au demeurant tout à fait respectables (droits de l’homme, respects des libertés individuelles) ne font pas la part belle à l’intérêt général ou à l’ordre public, ce qui ouvre une voie royale aux casseurs de la démocratie utilisant ces grands principes à leur profit.

A titre d’exemple la décision n° 2020-805 du 7 août 2020 au terme de laquelle le Conseil Constitutionnel a censuré la mise en œuvre d’une mesure de sûreté (très encadrée et limitée dans le temps) à l’égard des personnes ayant exécuté une condamnation pour actes terroristes, car portant atteinte à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privé et au droit de mener une vie familiale normale… nous parlons pourtant de terroristes !

Le principe de respect aveugle des libertés individuelles aboutit à des jurisprudences nationales ou européennes paralysantes dans un contexte d’insécurité, lequel nécessiterait pour la protection du plus grand nombre de s’en exonérer.

De nombreuses voix s’élèvent face à ces dérives pour le rétablissement de la réserve faite initialement par la France (levée en 1981) au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme, la modification des traités européens pour exclure de la compétence de la Cour de justice européenne les domaines régaliens, la suppression de la question prioritaire de constitutionnalité (réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008).

Nous proposons, sans attendre une éventuelle révision de la Constitution, des traités ou un renforcement de l’arsenal légal et afin de rétablir le primat de la nation, incarnée par ses élus, sur le droit, pourquoi ne pas donner aux parlementaires la possibilité de maintenir, contre l’avis d’une Cour suprême, une disposition législative (majorité à déterminer des deux assemblées) qu’ils considèrent comme légitimes. Cette possibilité devrait être inscrite dans la Constitution.

Ne l’oublions pas, si l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen définit la liberté comme un droit imprescriptible, l’article 3 stipule que toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation.


1- Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour de justice de l’UE, Cour Européenne des droits de l’homme.

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